La publication, le 26 janvier dernier, d’une enquête de Victor Castanet (Les Fossoyeurs, publiée chez Fayard), a pointé du doigt des faits de maltraitance et un système de gestion trouble dans une société privée d’EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes)
Sans préjuger des conclusions des travaux menés par la justice saisie, cette nouvelle affaire nous invite à un débat national sur ces structures, qu’elles soient privées, publiques ou relevant du domaine associatif.
Les EHPAD une solution imparfaite à un vrai problème :
Il faut rappeler que les EHPAD, souvent vilipendés, s’ils sont peut-être une « mauvaise solution », répondent à un vrai problème, celui de la dépendance des personnes âgées. Cette dépendance augmente avec le vieillissement de la population. Même si nous vivons de plus en plus longtemps en bonne santé, nous allons tous à un moment décliner et mourir. Cette période de déclin, qui dure plus ou moins longtemps, a besoin d’être accompagnée.
Aujourd’hui en France et dans de nombreux pays développés, la solution retenue passe par la construction d’EHPAD. Par définition, ces structures sont « maltraitantes », puisqu’on y accueille à 50% des personnes qui présentent des troubles cognitifs plus ou moins graves. Elles sont donc peu conscientes des raisons pour lesquelles on les conduit dans ces établissements. Quand elles sont lucides, peu sont consentantes. On ne va plus, comme autrefois, en maison de retraite pour des raisons sociales, on va en EHPAD pour des motifs médicaux.
Les EHPAD sont donc des lieux d’enfermement thérapeutiques où l’on vient finir ses jours.
Quand on prend conscience de cela, on comprend aussi que, pour les équipes, éviter de rendre ces endroits trop mortifères est un challenge extrêmement compliqué. La grande majorité des établissements font ce qu’ils peuvent, avec dévouement, et la grande majorité des personnels sont formidables.
Ce livre « Les Fossoyeurs » dénonce certainement des dérives mais il ne faut pas en faire une généralité. L’EHPAD « bashing » est très facile, mais en réalité des progrès importants ont été faits depuis 20 ou 30 ans.
Certes, il reste encore de nombreux points d’amélioration. Mais il faudrait sans doute avant tout réinventer le concept même de l’EHPAD, trouver des modèles d’accueil alternatifs.
Une politique du quatrième âge inexistante en France :
Ce scandale met aussi en lumière l’absence d’une réelle politique du vieillissement en France. C’est une « patate chaude » que les différents gouvernements se repassent sans savoir comment vraiment résoudre le problème. On a rarement nommé au gouvernement des secrétaires d’Etat qui connaissaient réellement le sujet. La Haute Autorité de Santé prépare un référentiel qualité des soins des établissements de santé qui a du mal à voir le jour. On parle d’une loi « Grand Âge » sans la voir venir… Nous n’avons donc pas de politique du vieillissement en France et nous n’avons pas non plus de financement pour cette filière.
Dans les pays d’Europe du Nord comme la Suède, le Danemark ou les Pays-Bas, plutôt que de grands établissements, ils ont par exemple mis en place des logements d’accueil sous forme d’appartements maillant tout le territoire. Ces pays ont aussi en moyenne 10 soignants pour 10 patients, soit un ratio de 1 (de 1,2 aux Pays-Bas). En France, ce ratio est de 0,6. Le personnel est sous-payé, peu valorisé et chroniquement en sous-effectif.
L’enjeu d’accueillir et soigner des patients dépendants avec un budget moyen de 85 à 143 €/jour (en fonction de leur degré de dépendance), contre, rappelons-le, un coût quotidien de l’ordre de 2.000 €/jour dans un service de gériatrie hospitalier, procède du casse-tête. Ce plafond insuffisant contraint ces organismes à réduire, parfois de façon choquante, le niveau des prestations de tous ordres.
Les EHPAD privés représentent seulement 20% des EHPAD en France. Les situations conduisant à la maltraitance dans les autres EHPAD (publics et associatifs), qui constituent la majorité des établissements, y sont hélas aussi certainement présentes, non pour une recherche de rentabilité mais principalement à cause de ce manque de moyens et d’effectifs.
Il faut absolument revaloriser la filière gériatrique, la refinancer, lui donner un peu d’éclat pour attirer du personnel. Il faut aussi restructurer la prise en charge des personnes âgées et essayer de trouver des solutions afin de les maintenir à domicile dans de bonnes conditions, le plus longtemps possible. Et enfin, il nous faut trouver de nouveaux modes d’accueil du sujet âgé très dépendant.
Et en attendant …
En attendant que soient mises en place des mesures pour améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes, avec SOS EHPAD, nous ne sommes pas restés les bras croisés.
Exerçant en tant que gériatre en EHPAD depuis des années ou ayant eu des proches résidents, nous savons que la grande majorité des établissements et des personnels font un travail extraordinaire mais qu’ils manquent cruellement de moyens. La pandémie a rendu la situation intenable. C’est pourquoi nous avons créé SOS EHPAD pour leur apporter un premier soutien matériel et financier. Une fois l’urgence de la pandémie passée, nous pérennisons notre action afin de soutenir notamment les besoins en formation des personnels qui sont immenses.
Dr Olivier de Ladoucette, Psychiatre et gériatre, Président de la Fondation Recherche Alzheimer et co-fondateur de SOS EHPAD
Michel Roquette, Président de SOS EHPAD